Dans le viseur de mon appareil photo, zoom déployé au maximum, j’aperçois Jacques Stotzem, guitare en main, qui piaffe à la sortie de la sacristie qui lui sert de loge. Il a l’air impatient et arbore un petit sourire gourmand. C’est son tout premier concert depuis des mois. Depuis l’âge de 18 ans, il ne s’est jamais arrêté de tourner pendant aussi longtemps. Ça redémarre logiquement de l’endroit où tout a commencé, Verviers, sa ville natale, son public d’amis et de fidèles de longue date. Quand il monte sur scène, une longue salve d’applaudissements salue son retour sur scène. Welcome back !
J’y pense et puis j’oublie
Ce premier concert après déconfinement est organisé par le Comité culturel de Saint-Remacle Verviers qui s’occupe de valoriser la remarquable église Saint-Remacle. Pour que le concert puisse avoir lieu, les mesures anti-Covid sont évidemment de mise. Désinfection des mains à l’entrée, masque recommandé et l’inévitable distanciation physique marquée par l’écartement des chaises. Le nombre de place est réduit, la réservation et le paiement se font à l’avance. Malgré ces petites contraintes, le concert est sold-out et la salle est pleine.
Limitation des déplacements pendant le concert, pas de bar, pas de regroupements de personne, pas de toilettes. Les mesures sont brièvement rappelées. Une fois tout le monde installé, on les oublie pour retrouver le plaisir de la musique.
Je suis plutôt du genre à respecter les règles. Du coup je suis super-embêté – c’est comme embêté, mais avec une cape – de ne pas retrouver le masque que j’avais glissé dans ma poche. Il a dû tomber de ma poche entre la voiture et la place Saint-Remacle. Mais je suis garé loin (je vous épargne le couplet sur le stationnement à Verviers). Du coup j’enfonce ma tête dans mon sweat et je gagne ma place en rasant les murs, un peu penaud.
Sur mon siège, un petit flyers rappelle que faute d’une petite vente sur place, les CD sont en vente online et les albums sont disponibles sur iTunes. Je repenserai brièvement au Covid en me rendant compte qu’avant je faisais tout pour éviter de tousser pendant un morceau. Maintenant j’évite même de tousser pendant les applaudissements de peur qu’on me regarde de travers.
Un premier concert (décon)finement joué
Si Jacques a arrêté de tourner, il n’a pas cessé de jouer de la guitare. Il a même mis ce temps à profit pour composer des nouveaux morceaux qui trouveront sans doute un jour leur place sur un CD.
S’il a interrompu ses voyages, il nous a fait voyager avec quelques live Facebook à thème dont il nous rappellera des extraits pendant le concert. Il avouera même qu’il avait encore des thèmes en réserve, comme les musiques de film. Mais je n’irai pas jusqu’à prétendre regretter d’avoir manqué ça à cause du déconfinement. Il en a encore sous la pédale. Peut-être une autre fois, et on l’espère, pour d’autres raisons.
Jacques reconnaîtra que le contact avec le public et les applaudissement lui ont manqué. D’ailleurs, j’ai eu l’impression que chaque morceau était applaudi un peu plus. Comme un petit bonus, un peu de rab pour combler le manque de part et d’autre. Nous aussi, ça nous a manqué de vibrer tous ensemble pour la musique live.
Si parfois en jouant Jacques a l’air concentré, voire parfois presque sévère, plus d’une fois je l’ai vu sourire pendant le concert. Peut-être plus souvent que d’habitude. Dans le viseur de mon appareil photo, je vois passer ces petits sourires fugaces sur son visage. « Il a bon » comme on dit à Liège (et nous aussi).
Jouant à domicile, Jacques se fait plaisir. Il joue les classiques de ses concerts, mais aussi des morceaux qu’on n’entendra sans doute pas lors d’autres concerts, pour le plus grand plaisir de ses fans. Notamment les morceaux qu’il joue dans sa cuisine juste pour se faire plaisir. J’aurais aimé entendre un morceau qu’il avait joué pendant un live : « Do You Know What It Means To Miss New Orleans » – Louis Armstrong. J’aime bien l’arrangement qu’il en a fait. Une autre fois peut-être.
Premier concert comme spectateur aussi
Je n’ai pas souhaité filmer ce premier concert parce que je voulais vraiment en profiter comme spectateur. Je voulais chérir ce moment rare et précieux comme un souvenir. Ensuite, il me semble que diffuser une captation complète du concert est antinomique avec l’idée d’inviter les gens à sortir de chez eux pour retrouver l’émotion authentique (et les revenus pour les artistes) des vrais concerts.
Néanmoins, pour illustrer ce billet, il me fallait quelques photos. Là aussi, le confinement a laissé des traces sur mes réflexes de photographe. Mise au point, compensation de l’exposition, triangle ISO – ouverture – vitesse et surtout navigation dans les menus m’ont paru bien moins familiers tout à coup.
Plus d’une fois, je me dis que cette photo est déjà vue et revue. Même si Jacques va de la position debout au tabouret, ces poses ont été prises cent fois. La photo de Jungle avec la main par dessus le manche, ou celle où il est penché sur sa guitare pour un passage rock, ou celle où il a presque l’air en colère contre sa main gauche.
Que pourrais-je photographier qui serait différent cette fois ? Assez rapidement, je me focalise sur les petits sourires fugaces qui passent sur le visage de Jacques. Son bonheur est là, avec sa musique sur une scène. Notre bonheur de l’écouter est là aussi. C’est ça qu’il faut retenir de cette soirée.
Distanciation physique et distanciation sociale
Finalement la distanciation physique et les mesures sanitaires ne me pèsent pas tant. On y pense puis on oublie. Par contre, l’entracte, le bar et l’après-concert me manquent un peu. Ces moments où on peut saluer des vieilles connaissances et débriefer le concert. C’est là finalement que se trouve la vraie distanciation « sociale ».
On a reconnu très rapidement l’importance sociale des cafés et des restaurants en raison d’impératifs économiques sous-jacents. Mais par ma légère frustration, je prends conscience du formidable liant social qu’est la culture. Un lien social (mais aussi des impératifs économiques) qu’il ne faut certainement pas négliger dans le futur un peu flou qui se dessine entre avis d’experts et décisions politiques.
Et après
Le plus grand voyage commence par un seul pas. Si l’avenir est flou, une chose est certaine : pour l’éternel optimiste qu’est Jacques Stotzem, après ce premier concert, la suite se passera de toute façon avec une guitare dans la main.
Note : en retournant à la voiture, j’ai bien retrouvé mon masque. Sur un trottoir sous la pluie, échoué là comme un vieux string de soûlarde.
1 Commentaire
Très bon rendu de cette merveilleuse soirée faite de surprises et de souvenirs des concerts confinés…du bonheur d’avoir pu y assister, malgré le nombre de spectateurs la ferveur des retrouvailles était bien présente. Merci pour cet article.