Plutôt que de parler de guitare, pour une fois je voulais vous parler de musique en général. En particulier de l’album, ce concept si cher à certains et qui n’est finalement pas si vieux. Confiné à travailler derrière mon ordinateur, je parcours la liste des 600 albums publiés entre 1954 et 2018 que le magazine Rock&Folk a sélectionné pour brosser un paysage de plus de 60 années de musique enregistrée. Une liste d’albums délibérément plus arbitraire qu’exhaustive, mais ça permet de se remettre des pépites dans l’oreille. Et de repenser un peu à l’histoire très courte de la musique enregistrée.
Passer de la cire aux bits
La musique enregistrée est assez jeune, l’invention du rouleau en cire date de 1877. C’était à peine il y a 150 ans. A peine un peu plus de trois générations d’humains se sont succédés depuis. Si vous avez mon âge, votre grand-mère ne connaissait pas les disques vinyles dans sa jeunesse, vos enfants ne se servent probablement déjà plus d’un lecteur CD. Le disque vinyle qui a supplanté le 78 tours date de 1951, soit à peine 70 ans, deux générations.
Contrairement à une croyance largement répandue, la durée idéale des morceaux n’a pas été déterminée par les radios. C’est le temps d’écoute déterminé par la largeur du microsillon sur un 33 tours ou un 45 tours qui a entraîné le formatage de la durée des morceaux Le format physique historique du 78 tours puis tu 33 tours ont influencé la durée de lecture totale. A part l’une ou l’autre niche musicale, cette durée se maintient sensiblement, même pour les formats dématérialisés.
Du concept de l’album à l’album concept
De manière assez étonnante, quand on regarde la production des premiers albums de rock, les titres sortaient en 45 tours, et le plus souvent les albums ne contenaient pas les « tubes » déjà sortis. Les studios ne voyaient guère l’intérêt de sortir des doublons sur un album plus couteux à produire. Les gens n’auraient pas été enclin à payer pour un morceau qu’ils avaient déjà dans leur discothèque.
Les studios sortent un single, puis un autre et on voit si ça marche. Si l’artiste se fait un nom, on sort d’autres titres en album. Parfois lors du rachat du catalogue d’un artiste, on se fend d’une réédition sur un label plus connu des chansons plus anciennes qui n’avaient pas été aussi largement distribuées. C’est la naissance des compilations. En quelques années, les albums sont devenus une manière de regrouper les singles avec quelques morceaux qui n’ont pas été publiés en single.
Depuis la fin des années 60, le monde se divise en deux. D’un côté, les « one-hit-wonder », des 45 tours-tubes éphémères, puis musique et artiste sombrent à nouveau dans l’oubli. De l’autre, les groupes qui s’installent sur une décennie ou plus. Pour ces artistes, alterner session de studios et tournée est plus confortable si on se contente de sortir un album de temps en temps. On pose ses valises, on compose, on enregistre. Parfois composition et enregistrement se font sur de longues semaines de résidence à la campagne. On ne sort plus qu’un single ou deux pour annoncer l’album. Un album qui se veut plus mûri, réfléchi, plus cohérent et en général mieux produit. Une expérience que chérissent souvent ceux qui s’accrochent au format vinyle qui livre une œuvre complète en main, une œuvre pensée du sillon à la pochette.
De l’album à la playlist
Héritier du vinyle, le CD aura maintenu le concept d’album en vie encore quelques années. Ma génération (je suis vieux !) écoutait des albums. Avec l’avènement de la dématérialisation, et de la musique nomade, certains n’écoutent plus que des morceaux isolés dans des playlists thématiques.
C’est encore toujours un réflexe chez moi : quand j’entends un.e artiste qui me plaît, je vais écouter d’autres morceaux, ou des albums si il y en a. Parfois pour faire de belles découvertes, parfois de rudes déceptions. On ressent que la notion d’album complet s’effrite, derrière le single (sur)produit, on trouve parfois des titres moins finis en terme de production.
Pour satisfaire le besoin de visibilité, certains artistes ne produisent plus que des EP et des singles qui permettent d’accélérer le cycle de communication et de promotion. Il faut être présent, visible, tout le temps. Le danger mortel de sombrer dans l’oubli pendant un an ou deux en attendant la sortie d’un nouvel album est trop grand. Le public fast-foode la musique et zappe. On entend énormément de musique, mais on n’en écoute guère.
Certains annoncent la mort des albums, et puis tous les six mois on annonce une renaissance.
Était-ce mieux avant ?
Je n’en sais rien, je ne suis pas devin. On fait toujours de beaux albums, de beaux singles et on fait aussi de la merde en format long ou court. On en a toujours fait.
Nous ne voyons du passé que l’image embellie par l’absence de tout ce qui a sombré dans l’oubli. Et le reste est teinté de nostalgie bienveillante. Rétrospectivement, la bande magnétique, la cassette et le CD n’auront été que des parenthèses techniques.
Le monde va de l’avant, c’est tout. Parfois nous restons sur place, parfois nous marchons en regardant en arrière. Finalement pour ma part, je suis content d’avoir accès à de vastes catalogues musicaux qui me permettent d’un click de souris de parcourir le passé, de rester à l’écoute du présent et de me réjouir de ce que le futur nous prépare. L’important est de ne pas se contenter de la soupe servie en masse pour aller fouiner dans les catalogues pour y trouver du plaisir. Son plaisir.