Le surnom de « six cordes » reste collé à la guitare, malgré l’existence de guitares à 12 cordes (dédoublant les 6 cordes), voire de guitares à 7 cordes.
Mais pourquoi six cordes ? Voilà le genre de question qui peut sembler bien triviale de prime abord, mais en parcourant un peu de littérature, on s’aperçoit rapidement que l’histoire d’un instrument aussi populaire que la guitare est bien plus méconnue qu’on ne le pense.
La guitare cette inconnue
Une des raisons pour cette méconnaissance de l’histoire de l’évolution de la guitare est que les guitares richement ornées qu’on trouve dans les musées et dont on trouve de nombreuses représentations en peinture, dans les mains de jeunes filles aisées, tenaient souvent plus des arts décoratifs que de l’instrument de musique. Elles étaient l’oeuvre d’artisans et devaient souvent ravir l’œil, avant l’oreille. Ces instruments ont un canon esthétique relevant d’une filiation antique, et se sont inspirés du luth.
Parallèlement existait une famille d’instruments plus sobres, des objets fonctionnels fabriqués par les luthiers, versés dans l’art de la construction de violons. Ces guitares, moins précieuses, utilitaires, n’ont pas été préservées, restaurées et on en connaît peu ou pas d’exemplaires conservés.
Cette double production brouille les pistes à propos de l’évolution de l’instrument. A chaque époque et pour chaque innovation, on trouve des modèles précurseurs et des modèles innovants, mais la transition vers la généralisation de ces caractéristiques reste incertaine. La France, l’Espagne et l’Italie se disputent la paternité de l’instrument sous sa forme moderne, impossible de les départager.
De 4 cordes doubles à 6 cordes simples
Historiquement, les instruments anciens s’approchant en forme et fonction de la guitare avaient 4 cordes doubles, qu’on nomme également chœurs. Ce dédoublement des cordes était avant tout une réponse à la faible résistance mécanique de l’instrument et la faible tension des cordes qui ne permettaient pas un volume sonore important. Le doublement permettait un son plus riche, plus ample, sans alourdir la mécanique de l’instrument.
Notez que la problématique du faible volume de la guitare est au coeur de l’évolution historique de sa construction, en passant par les guitares à résonateurs et l’amplification électrique.
Le passage de quatre cordes doubles à six cordes simples est d’abord passé paradoxalement par la réduction du nombre de cordes aiguës. Quatre cordes pour quatre doigt, quoi de plus logique ?
Initialement, les cordes et même les frettes, qui étaient mobiles, sont fabriquées en boyaux. Ce matériau capricieux difficile à produire, est rare, et s’use rapidement. De nombreux guitaristes renoncent à doubler la ou les cordes aiguës, pour des raisons de solidité et d’économie. Dans certaines régions, les cordes métalliques s’imposent à la fois pour des raisons sonores et économiques.
Les frettes qui s’usent trop vite sous la pression des cordes suivent le même chemin. Elles sont dorénavant en métal et fixées au manche. La corde en soie couverte de métal, inventée par Savarezze est une petite révolution. Elle donne une tension et un volume sonore plus important, libérant un nouvel espace d’évolution pour l’instrument.
Outre les raisons économiques et mécaniques mentionnées ci-dessus, les solistes qui souhaitaient réaliser des ornementations musicales plus précises ont peu à peu adopté les cordes simples.
A l’époque, de multiples accordages cohabitent, certains avec des unissons, parfois des cordes réentrantes, des cordes doublées ou non. Dans un souci d’enrichir la palette sonore des ornementations possibles en mettant plus de notes à portée de doigts facilement, une cinquième corde est ajoutée, annonçant l’arrivée d’une sixième. Bien qu’il n’existe pas encore de standard, l’accordage La – Re – Sol – Si (4 cordes) et La – Re – Sol – Si – Mi (5 cordes) est un classique.
Mais pourquoi cet accordage standard en Mi – La – Re -Sol – Si -Mi ?
Accordez votre guitare logiquement, c’est à dire Mi – La – Re -Sol – Do – Fa, et vous verrez les problèmes sans fin auxquels vous vous exposez pour jouer un simple accord de Mi majeur sur vos six cordes. (Faites le test, mais ne cassez pas vos cordes !).
Dans l’accordage standard, les cordes de Re – Sol – Si forment un accord majeur, tandis que les cordes de Sol – Si et Mi forment un accord mineur facilement accessible partout sur le manche. La modification d’une seule note permet d’accéder à la forme majeure et mineure correspondante, en offrant des possibilités faciles d’accès pour des doigtés d’accords plus riches à 4 ou 5 sons.
Cet accordage fait le désespoir des pianistes, mais c’est celui qui sur les 24 tonalités possibles, offre le plus de possibilités d’avoir une ou plusieurs cordes à vide comme basse d’un accord. Il permet de jouer le plus d’accords sans barré et perrmet le plus de formes d’accord avec un nombre limité de doigts sur six cordes (cf. note ci-dessous pour les geeks).
Techniquement parlant, les accordages ouverts, appelés également open tunings ou alternatifs sont plus restreints à l’usage (d’où le besoin d’en changer fréquemment, parfois pour chaque morceau).
Évidemment, je ne fais que brosser un rapide raccourci historique ici. Un résumé qui fera hurler les coupeurs de boyaux en quatre. Mais j’assume !
Note: Sur les 24 tonalité (pour chaque note chromatique, en ignorant les équivalents enharmoniques, multipliées par majeur et mineur vous donne 12×2 , seulement 10 tonalités (C#, Eb, F, Ab, Bb , majeur et mineur) n’ont pas de tonique des degrés I, IV ou V disponibles sur une corde non-frettée, 4 tonalités (C, F#, majeur et mineur) ont 1 tonique sur une corde non-frettée pour l’un de ces accords, 4 (G, B, majeur et mineur) ont 2 toniques possibles et 6 tonalités (D, E et A, majeure et mineure ) ont tous les trois accords (I, IV , V) avec des toniques disponibles sur des cordes non-frettées.