Je publie rarement des vidéos de mes morceaux, faute de temps. Dernièrement j’ai publié la vidéo de Lùnasa, ce qui m’amène à quelques réflexions. Les occasions de jouer en public se font parfois rares. On pourrait penser que poster une vidéo de ses morceaux peut « faire l’affaire ». Pourtant les sentiments sont bien différents. Certains de nos jours se contentent d’une carrière sur le net, j’aurais du mal à m’en satisfaire.
Le temps passé
Si on ne tient pas compte du temps passé à répéter et à s’installer pour un concert, jouer des morceaux en public prend environ le temps de les présenter et de les jouer et de recueillir les éventuels applaudissements.
Se filmer nécessite des moyens plus importants et une installation conséquente. Si on veut « juste » une vidéo plus ambitieuse qu’un cadrage sans tête sur ou sous-exposé avec le son brut et souvent insatisfaisant d’un smartphone, il faut un peu matériel et de préparation. Toute cette installation prend la tête et consomme une énergie importante qui est perdue pour la musique. En concert on ne pense qu’à jouer le morceau. Évidemment, on peut faire plus simple, ou installer un studio fixe pour gagner du temps … si on a la place ou si on désire se consacrer uniquement aux morceaux postés en ligne. Ce n’est pas mon cas. Et puis j’avoue que j’aime jouer avec ce matériel. Mais je préfère m’en servir pour parler de matos.
Ce n’est pas par prétention pour mon image, mais je trouve qu’une vidéo floue ou mal éclairée, mal cadrée et un son mal fichu ne rendent pas vraiment justice à la musique. Il faut au moins que ce soit propre, bien que cette notion soit subjective. L’exception c’est la petite séquence en clin d’oeil, un partage en apprentissage, ou une vidéo live où il s’agit un souvenir d’un moment capté … dans l’instant présent, ce qui peut excuser l’un ou l’autre défaut visuel ou sonore.
Cent fois sur le métier, remettre son ouvrage
Quand on se filme, la tentation est grande de recommencer pour une note un peu écrasée. Lors de l’enregistrement de Lunasa, j’avais fait une version vraiment chouette, j’ai juste fait une petite erreur en inversant les harmoniques à la fin du morceau. Ca ne sonnait même pas si mal. C’est la vérification même de l’adage « L’expérience c’est de faire des fautes plus belles. ». J’étais très content de l’interprétation et de l’emotion par ailleurs. En live ce serait passé crème, mais pour une vidéo il fallait recommencer, parce que ce n’est pas ce que je voulais « dire ».
Dans l’instant des morceaux
Quand je joue devant un public, le lien que je crée les gens dans le moment existe et m’aide à interpréter le morceau différemment (et souvent mieux, ou en tout cas ressenti comme tel) que quand je joue seul. Il est difficile de partager une émotion quand on est seul face à des spots et des caméras. Il faut se mettre dans le mood, ce qui n’est pas toujours facile.
Je me souviens avoir lu que le power-duo Rodrigo y Gabriella avait des soucis à retrouver le punch des concerts en studio et que l’enregistrement de leur premier album avait été laborieux. C’est, toutes proportions gardées, également mon cas.
La relation à l’interprétation de l’oeuvre pour un musicien est différente de celle d’un peintre, d’un photographe ou d’un vidéaste. Ces derniers créent et puis présentent l’oeuvre finie. En dehors de l’acte de composition, le musicien recrée son oeuvre à chaque fois qu’il joue ses morceaux en public. Le lien entre la création et le fruit de la création est instantané et gratifiant.
A la fin du concert, l’étui de guitare se referme sur le moment passé et il reste l’émotion pure, sans les attentes que les publications en ligne amènent.
Les attentes
Quand on se filme, vient le moment où il faut se demander si c’est « suffisant » pour être publié, malgré la somme des petites insatisfactions cumulées. Car il faut trouver l’adéquation entre l’effort et les moyens consentis pour les morceaux et le retour attendu. Surtout pour moi dont ce n’est pas le métier.
Quand c’est « goodenough »Évidemment le tournage d’un clip scénarisé comme le magnifique clip des Suffocating minds est d’une toute autre nature. Le retentissement et le retour d’un tel moyen de promotion méritent les moyens mis en oeuvre.
Mais grâce aux (ou plutôt à cause des) algorithmes des réseaux sociaux, la diffusion non sponsorisée de morceaux sur les réseaux sociaux aura un impact artificiellement limité. On reste sous les 3% de visibilité, alors même qu’on diffuse au sein des gens qui ont aimé une page. Cela amènera quelques dizaines de likes, un ou deux partages et quelques commentaires qu’on espère positifs. La durée de vie de la vidéo est très courte, quelques heures, pas plus d’une journée ou deux.
On cherche un peu de visibilité en postant à gauche et à droite. L’exercice est ingrat. On ne sait pas ce qu’il faut en attendre. Qu’est ce qu’un retour « suffisant » ? On se compare aux autres, à ce qu’on a réalisé déjà, on se mesure. Immanquablement on se pose des questions sur la qualité de ce qui a été produit. Visuellement évidemment, musicalement surtout. Il faut digérer ça.
Pire, si je mets de l’argent sur la promotion en ligne, j’ai la sensation de tricher, de tarifer l’appréciation de mes oeuvres, de me payer la claque. Je le conçois pour promouvoir un concert ou un album, moins pour la diffusion des morceaux. L’applaudissement a quelque chose de plus spontané, de plus organique et naturel.
Quand je joue en public je me dis toujours que je sais pourquoi je fais de la musique. Quand je poste une vidéo, il m’arrive de me dire « à quoi bon ? ».