En lisant un article un peu véhément à propos de l’échec de la télévision et de la radio de service public belge d’assurer encore le rôle de découvreurs de talents que ces médias ont eu, un rôle qui serait encore attendu d’un service public, je me disais que finalement… il n’y a rien de bien d’étonnant à cela.
Au temps béni (?) dont parlait l’auteur, la télé et la radio étaient-ils découvreurs de talents ?
Quelques émissions iconoclastes (Note: être iconoclaste était fortement recommandé pour être dans l’air du temps) battaient le haut du pavé de nos émotions musicales. Nos amis étaient prescripteurs, le disquaire (quand il était bon, pas trop vieux et bien fourni) avait son mot à dire (sur base de son stock, et de son intérêt musical essentiellement) et on se passait un disque ou une K7 à écouter entre potes. L’image de l’artiste se construisait sur base de magazines et de posters.
A cette époque, celui qui voulait écouter autre chose que le vedettariat de la variété française ou du rock aurait eu bien du mal à étancher sa soif de son et d’image. Qu’aurait pensé un fan belge de blues du Delta ou de Country music de cette époque « bénie » ? En parcourant quelques notes biographiques sur Jacques Stotzem, je lis qu’il avait bien du mal à se procurer les disques de Blues, de Country-Blues et de Ragtime qu’il utilisait pour se former en autodidacte à la guitare fingerpicking. Autant pour l’époque bénie, qui ne l’est que pour ceux qui portent les mêmes œillères consacrées exclusivement au rock-en-perfecto depuis 30 ans, fut-il mâtiné d’un peu d’électro ou popisant.
Si on découvrait des albums et des groupes par le biais de la télévision ou de la radio, c’est surtout dû au fait que ces médias étaient entourés d’un immense désert. Chaque découverte nous faisait l’effet d’un rare mirage envoûtant, mais ce qu’on y découvrait était déjà découvert ailleurs, professionnalisé et battait les planches … tout comme aujourd’hui.
Dans un monde de silence, le ratio signal-bruit était favorable à l’amplification du moindre bruissement de talent. Mais dans le fond, on prenait le clapot dans le sillage d’un rafiot poussif sans s’en rendre compte.
Ce qui a changé, ce n’est pas l’oasis, c’est le désert.
Le désert est habité. Chaque semaine on peut y faire son marché de découvertes à base de vidéos parfois crues capturées dans un café-concert ou sur un trottoir, dans un webzine ou une webradio consacré à un artiste émergeant ou une niche musicale. Un immense catalogue qu’on peut fouiller à l’envie. Les sites découvreurs de talents et les amis prescripteurs sont légion et les plus connus se font même rémunérer pour pousser les artistes.
La télévision et la radio n’ont et n’auront plus jamais les moyens de jouer ce rôle de découvreurs de talents bruts. Même à l’époque, on nous livrait déjà l’écrémé. Les médias n’ont peut-être finalement jamais joué ce rôle, si ce n’est pendant la brève période où, lassé par la mécanique semi-automatique de l’import UK ou US, on a commencé à parler des artistes de chez nous.
Je ne suis ni journaliste musical, ni spécialiste des médias, mais il est aisé de constater que dans un format « Top 50 » mêlant rock, reggae, pop, hip hop, chanson française le temps d’antenne ne permet tout simplement pas de faire ce boulot sérieusement. Et prétendre le contraire face à la déferlante de l’offre musicale serait se mentir.
Autant ne pas le faire, si c’est pour le faire si mal. Le temps d’antenne se partage entre les télé-crochets qui jouent de la pipolisation et de l’apprentissage du vedettariat sous le couvert de prétentions artistiques et de magazines d’actualité musicale, présentant l’écrémé du trimestre en cours.
La télévision et la radio ont peu ou prou repris le rôle du disquaire: prescrire et vendre des disques assis sur un stock un peu étriqué avec de ci de là, une découverte. Et ça n’a rien de péjoratif. Ils nous parlent des artistes, nous samplent leurs singles puis leurs albums, nous vendent l’image de ces artistes comme les défunts magazines pour ados le faisaient.
Pourquoi était-ce plus noble quand Jojo le disquaire nous poussait le parfum du mois ? Le talent pour le boniment jouait sans doute un rôle quand il allait « derrière » pour chercher « un truc qui va te plaire à toi ».
Pour caricaturer, la télévision et la radio font découvrir des artistes à la partie étroite de la population qui achète encore des disques. Pour des gens connectés, ces découvertes font l’effet d’un vin éventé, du vu et du revu. Personnellement, je suis déjà souvent lassé d’un album quand on commence à l’entendre partout. Évidemment, ce constat s’accompagne souvent d’un jugement sur la qualité de ce qui est produit et vendu. Dans un monde où l’individualité est une vertu, plaire aux masses est un vice et le produit fabriqué en quantités industrielles sent toujours un peu la merde. Un artiste qui gagne sa croûte à la télé est forcément un vendu. Et il est bien vu de le dire en remontant ses ray-bans pilote d’un air entendu.
Certains genres musicaux n’attendent d’ailleurs pas (plus ?) grand chose de ces médias, se sont libérés de leur formatage et leurs fans verraient même d’un œil très suspicieux un de leurs poulains atteindre ce type de notoriété. C’est d’ailleurs assez amusant d’entendre les plaintes pour le manque d’ouverture d’esprit venant de gens parfois plutôt sectaires musicalement. Mais le plus souvent, tant les artistes que leurs fans ont une vision lucide et pas du tout désabusée sur la question de la présence radio et télé.
La qualité de ce qu’offre le musicien doit permettre de passer sur les ondes, c’est toujours bienvenu, mais ce n’est plus forcément le but ultime. C’est plus souvent l’indicateur d’une réussite, d’une masse critique acquise ailleurs. Et surtout, une fois qu’on y est, tout reste à faire, parce qu’en musique, il n’y a pas de ligne d’arrivée après laquelle on pose ses mains sur ses genoux pour souffler un peu en attendant la douche.
Si ce n’est pas le rôle des médias et que ce n’est plus le rôle des labels. Mais alors, qui sont les découvreurs de talents ?
Tout d’abord l’artiste, évidemment qui doit porter son projet et révéler son talent grâce à tous les moyens de diffusions qui sont à sa portée et qu’il contrôle. L’artiste qui porte également d’autres artistes, qu’il cite et mentionne devant son public et qu’il invite parfois. C’est peut être la démarche la plus brute et la plus honnête quand deux artistes se kiffent et le font savoir par deux mots dans une interview ou tout un album en collaboration.
Les organisateurs de petits lieux de concerts (en taille, mais grands par le rôle qu’ils occupent) comme les Deux Ours, et les festivals « off » qui voient défiler des gens qui se fabriquent un nom en l’usant sur les planches.
Et finalement c’est au public d’endosser le rôle qu’on attend de lui dans d’autres domaines comme l’éthique et l’environnement: consomm’acteur. Bien utiliser son temps, son argent et sa sphère d’influence pour revenir à l’action d’écouter de la musique au lieu de se contenter de l’entendre. Parler autour de soi des chouettes concerts auxquels il assiste, se fendre d’une ligne sur Facebook ou Twitter, partager une critique d’un album. Être découvreurs de talents, mais aussi révélateurs de ces talents aux autres.
De nos jours, c’est là que ça se passe, et c’est là que notre regard doit porter.
C’est juste mon avis … sans doute que d’autres avis pèsent plus lourds car ils ont de la bouteille … mais moi j’ai des bouchons et j’entends paaaaaaaaaaas … ! 🙂
1 ping
[…] d’albums. Évidemment, il ne s’agit pas des magazines de grands groupes de presse qui servent la même soupe. Dans un style musical de niche comme la musique acoustique gravitant autour de la guitare, ce […]