De rouille et d’eau… et d’abattoir (compte-rendu)

Il s’est passé exactement 467 jours soit 1 an, 3 mois et 12 jours depuis ma dernière présence sur scène devant un public. Si on compte que c’était une masterclass « Fingerpicking » et pas un concert à proprement parler, on pourrait encore ajouter deux mois. Du coup ce concert à l’ancien abattoir d’Eupen est un évènement précieux. Il y a une chose dont je n’ai jamais douté : malgré le drame économique que cet arrêt forcé représente, il restera toujours des artistes qui auront besoin de dire des choses et du public pour les écouter. Et des organisateurs qui se démèneront pour qu’ils se rencontrent. C’est une force qui va au-delà de la loi de l’offre et de la demande. Parce que l’homme a tapé sur des bouts de bois et soufflé dans des os dans des cavernes, chanté dans les tranchées sous la mitraille et envoyé de la musique et des instruments de musique dans l’espace.

Enfin sur scène...

Enfin sur scène…

Jouant dans un ancien abattoir devenu centre culturel, plutôt que de paraphraser Audiard, j’aurais pu jouer sur les mots et user d’un titre dans l’air du temps comme « la culture à l’abattoir » mais cela aurait prétendu faire de moi ce que je ne suis pas, d’une part un représentant de la Culture avec un grand – je « C » tout – et d’autre part un grand révolté de la crise que nous traversons ce que je ne suis guère plus. Je ne suis pas le rocher dressé en travers de la route, j’essaie d’être l’eau qui va de l’avant. Et à la fin, c’est toujours l’eau patiente qui gagne.

D’eau…

Quand je ne répétais pas, je scrutais le ciel. Les mesures actuelles imposent des concerts en terrasse, tributaires de la météo. Heureusement, le centre culturel d’Eupen s’est bien préparé. La scène et le public sont abrités sous un sérieux chapiteau, avec une vraie scène. Pas le genre de chapiteau qu’il faut évacuer parce que des trombes d’eau ont déformé les bâches ou qui s’envolera au moindre coup de vent. Et il pleuvra beaucoup pendant la soirée, sans refroidir l’enthousiasme du public.

Que d'eau, que d'eau !

Que d’eau, que d’eau !

Le froid ne sera pas un trop gros souci. Par contre, le taux d’humidité de l’air frôlant les 80% à vue de nez, le manche de la guitare deviendra de plus en plus collant au fil de l’eau… de la soirée. De quoi déraper un peu dans les déplacements rapides sur le manche et les bends. Je m’étais préparé à tout, sauf à ça. Même en essuyant le manche, la vapeur se redépose aussitôt, incroyable.

Préparé pour lutter contre le froid ...

Préparé pour lutter contre le froid …

De rouille… 

Évidemment une aussi longue période sans concerts laisse des traces. Finalement pas tellement sur la technique qui ne nécessite que de répéter, mais c’est le mental qui est en difficulté. Sur scène, il existe cet équilibre mental très particulier que certains appellent « la zone » ou « la pleine conscience ». C’est un fragile état de conscience entre concentration et lâcher prise qui permet de n’être que dans l’instant présent. Dans cet état, j’oublie mon corps et je me sens perméable à la musique qui ne fait que me traverser. Par malchance, cet état disparaît dés qu’on y pense, comme le silence disparaît quand on en parle.

Depuis 14 mois, je n’ai plus ressenti cet état. Ni en répétant, ni pendant les live Facebook.

Le fait de ne pas pouvoir se camper dans cet état ouvre la porte à toutes sortes de pensées parasites. La mémoire des accords, des structures des morceaux s’en trouve chamboulée. Par contre chanter en jouant du ukulélé m’occupe autant le corps que l’esprit et permet d’être un peu mieux centré.

Efface-book ?

Ces dernières années, Facebook s’est imposé comme canal publicitaire privilégié pour les concerts, mais la politique d’ôter toute visibilité aux évènements sans publicité payante, même sur une page dédiée à un artiste devient vraiment problématique. Si l’algorithme détecte une annonce d’évènement ou un lien avec un espace culturel comme l’ancien abattoir d’Eupen, la visibilité naturelle en est divisée par 3 ou 4. Et pour des petits évènements et des artistes de niche, la pub payante n’est pas rentable.

Ce modèle là est mourant. Peut-être qu’ils pourraient jouer un rôle dans la relance de la culture en ouvrant un peu les projecteurs de la visibilité au moins aux petites structures ? Mais le géant verra-t-il les fourmis à ses pieds ? Fourmis dont il digère le contenu sans grande contrepartie.

« En route vers l’abattoir »

Le concert a lieu au Kulturzentrum Alter Schlachthof d’Eupen, un ancien abattoir, dont le joli bâtiment mériterait sans doute une visite. L’accueil est excellent, comme souvent du côté germanophone du pays : une vraie scène, une vraie sono avec technicien, un vrai soundcheck… et d’excellents petits pains garnis. Pour moi qui ai grandi de ce côté du pays, le « Brötchen » est une vraie madeleine de Proust. Inégalable. Boulangers du reste du pays, prenez-en de la graine.

Avec une sono sur place, je voyage léger pour une fois. Je scrute (encore) le ciel en roulant sur l’autoroute. Une nuée sombre plane sur l’horizon. Pendant le soundcheck, c’est un véritable déluge qui s’abat sur Eupen et l’ancien abattoir. Nous aurons même droit à quelques grêlons.  La terrasse reste vide. Il est 18 heures et le concert débute à 19 heures. Mais le public sera au rendez-vous, et à l’heure.

Have a beer !

Finalement une trentaine de personnes assisteront au concert. Quelques têtes connues (« Tach’ Sylvia ! Jeht ett ? »), la famille et pas mal de nouveaux visages. Le son est sympa, le premier set se passe bien. Je débute comme toujours par « Have a beer ». Quel symbole de pouvoir inviter les gens à prendre une bière en terrasse en écoutant de la musique. La guitare ronronne. Le public écoute les balades dans un beau silence qui laisse une belle place à la musique. Je présente les morceaux en allemand, ça aussi c’est un peu rouillé.

Sur la scène de l'ancien abattoir...

Sur la scène de l’ancien abattoir…

Les passages chantés au ukulélé sont très bien accueillis, « Always look on the bright side of life » est évidemment de circonstances. Je ne peux m’empêcher de remarquer qu’une jeune femme dans le public chante le traditionnel « Wayfaring stranger » avec moi. Je ne l’entends pas, mais je lis sur son rouge à lèvres. En cas d’hésitation sur les paroles, voilà du secours. 

Sur la scène de l'ancien abattoir...

Sur la scène de l’ancien abattoir…

Le set se termine par Caravansérail. Le break est l’occasion d’aller un peu parler de musique avec le public qui a l’air de passer un bon moment. Divertir et amuser, quelle noble occupation.

J’enchaîne avec le second set sans trop tarder, le centre culturel doit respecter la fermeture à 22h. Les applaudissements sont nourris. Après Lovely Roady dédicacé à ma roadie de coeur, je termine par un rappel, ce sera One Day – the reckoning song d’Asaf Avidan. J’ai passé une bonne soirée, et vous ?

Une bonne bière et puis démontage. Je me rends compte que j’ai perdu toutes mes bonnes habitudes en oubliant de remercier au micro la technique, et même le centre culturel pour l’accueil. Shame on me!

Merci, merci !

Un de fait, vivement le prochain.

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