Deezer, Spotify, Apple Music, Google Play Music, Amazon, TIdal… quoiqu’on en pense de ces plateformes, le téléchargement d’albums au format numérique et le streaming sont devenus des modes de consommation de musique.
Je vais déjà éventer partiellement ma conclusion : en 2017, il paraît peu crédible de se passer d’une présence sur des plateformes digitales. A condition de considérer la musique comme un produit de consommation et l’écoute comme un service.
La musique enregistrée fête ses 140 ans. Pendant ce court laps de temps, elle a quitté les grandes salles de concert réservées aux élites. Elle est entrée dans les foyers, puis dans nos poches. Nous pouvons écouter de la musique partout. A tout moment et nous avons accès à un répertoire infiniment vaste. Parallèlement, via Internet, la télévision, la presse et la radio, l’offre culturelle et l’information ont évolué et nous avons également accès à une quantité d’images et de sons. Les acquis sociaux ont permis la naissance d’une société de consommation et de loisirs. Tandis que le design transformait les objets du quotidien en œuvres d’art, l’art est devenu un produit de consommation. Finalement, les techniques de diffusion se sont améliorées et proposent une offre de masse pour les masses.
La musique EST un produit de consommation
La mise en relation d’une offre artistique véhiculée par un producteur vers une demande de l’auditeur est en parfaite adéquation avec l’idée d’un marché de consommation. S’il se trouve quelque romantique parmi nous, je rappellerai simplement que l’artiste populaire ne produisant rien de consommable était notoirement sans le sou. En échange du gite et du couvert ou d’une chaire dans une chapelle musicale, les plus grands compositeurs classiques ont répondu avec régularité à des commandes pour des opéras, des messes, des requiem. La fable de la cigale et de la fourmi de Jean de la Fontaine ne raconte rien d’autre: la cigale ayant chanté tout l’été, criant famine (FAAAAAMIIIIIINE !), elle se retrouve contrainte de « danser » en échange des largesses de la fourmi.
Le musicien s’est toujours préoccupé de proposer au sein de son projet artistique une offre en adéquation avec la demande de son auditoire. Comme Jacques Stotzem le soulignait dans sa conférence « Fingerpicking Roots », les bluesmen itinérants ont intégré le ragtime venu du piano dans leur répertoire de guitariste pour satisfaire à la demande du public. La naissance du fingerpicking démontre que ce n’est pas toujours une mauvaise chose et que le commerce de l’art peut-être source de progrès.
Mais le marché a des exigences, et la recherche du profit en est une. Lorsque la recherche du profit nie la recherche artistique, nous sommes confronté aux aspects pervers de cette équation. Malgré tout, certains artistes embrassent l’ascèse de la recherche artistique pure, parfois avec frugalité, souvent aidé d’une fortune personnelle ou à grands renforts d’allocations et de subsides divers qui ne sont que d’autres moyens d’infléchir l’offre afin de célébrer une certaine forme d’entre-soi.
Et l’intérêt de artiste dans tout ça ?
Faut-il vendre sa musique ? Si oui, il faut s’en donner les moyens, par la diffusion et la promotion et en la rendant accessible.
Lors de toute sortie d’album, la question finit par se poser: faut-il mettre à disposition la musique sur les plateformes de vente numériques ou de streaming. Pour la vente d’un titre sur une plateforme vous toucherez quelques centimes, pour une écoute, quelques centièmes de centimes seulement. Certains groupes se rémunèrent mieux avec les revenus publicitaires de leurs vidéos de cover et le merchandising qu’avec les revenus musicaux.
A moins de pouvoir négocier contractuellement la présence d’un imposant catalogue ou de vendre des millions de disques, vous ne gagnerez rien à être présent sur ces plateformes. Alors pourquoi y être ?
Je distinguerais plusieurs scénarios
Vous êtes une star mondialement connue
C’est gentil de passer par ici. Vous avez pu médiatiser votre dispute à propos des royalties offertes par les plateformes. Vous êtes d’ailleurs actionnaire des plateformes via votre société de production. Votre présence ou absence fait la pluie et le beau temps dans un catalogue. D’autre part, vu que vos albums sont piratés massivement, proposer votre musique en ligne vous permet d’offrir une alternative légale à vos fans. Et vous pouvez toucher les fans les plus distants. Vos revenus sont en baisse, mais je ne m’inquiète pas pour vous, les prix des places de concert explosent.
Vous êtes une star « mondialement connue dans votre région/pays »
Vous tournez, vous jouez en festival et passez en radio. Votre album sera en vente aux concerts et chez certains disquaires. Vous avez une bonne fanbase. Être présent sur les plateformes sera avant tout un outil promotionnel, un investissement.Les plateformes permettront de couvrir le pourcentage de fans trop distants et d’achats compulsifs suite à une écoute fortuite.
Les personnes qui n’achètent pas de musique de toute manière ne risquent guère de vous faire perdre de l’argent. Mais vous n’en gagnerez pas beaucoup via ces canaux. La vraie question est, où vendez-vous vos albums ? Des personnes sont-elles susceptibles de découvrir votre musique par ce biais ? Elles n’achèteraient pas votre album parce qu’il est disponible en ligne ?
Par contre les plateformes sont des outils de découverte extraordinaire. Un futur fan frustré par l’interview de cinq minutes avec deux extraits du single essaiera probablement d’en entendre plus dans les 10 minutes qui suivent. Si il ne trouve rien, une heure plus tard, il aura oublié votre nom.
Vous êtes une star « mondialement connue par vos fans uniquement »
Avec une petite fanbase, vous tournez de date en date dans un territoire géographique plutôt restreint. Vous rencontrez vos fans lors des concerts essentiellement. Sauf accident fortuit, vous ne passez pas en radio ou à la télé. Vos concerts dans la presse ne sortent pas du deux lignes dans l’agenda culturel.
Dans la masse de l’offre, sans promotion dans les médias, les chances que quelqu’un vous découvre par hasard sont assez réduites. Offrir votre musique sur des plateformes aura peu d’intérêt. Le coût sera probablement supérieur au retour sur investissement.
La gratuité peut-être un investissement à envisager. Donner pour mieux se vendre. Le don a encore de l’écho sur les médias sociaux. Le don peut se faire de manière « intéressée ». Par exemple, en échange d’adresses mails de personnes intéressées par les concerts, ou de personnes à contacter pour un futur crowdfunding. Il sera toujours temps de publier votre catalogue en ligne le moment venu. Le danger, c’est la perte de la valeur perçue de la musique.
Dans votre cas, opter pour une solution de boutique intégrée à votre site. Vendre en direct les fichiers numériques peut avoir du sens. Vous limitez les intermédiaires et augmenterez vos bénéfices. Cela limitera également les frais de production et le bénéfice ne servira pas à boucher le trou du préfinancement. Mais l’envoi de copies physiques ou la gestion d’une telle boutique peut-être compliquée.
Bon après c’est juste mon avis … on en discute ?