Dans un monde où la polarisation devient une sorte de norme de communication, Hohner ose le PentaHarp, un modèle d’harmonica « que les guitaristes vont adorer et que les harmonicistes vont détester ». Je précise d’emblée que je ne suis pas joueur d’harmonica, je devrais donc l’adorer et me faire conspuer par mes collègues harmonicistes. Le PentaHarp est un harmonica qui n’est pas accordé selon le système Richter. Ce n’est donc pas un harmonica diatonique, mais bien un harmonica hexatonique (pentatonique, plus blue note). Alors, idée de génie ou « one trick pony »* ?
* La définition du poney one–trick est une personne ou une chose considérée comme étant limitée à un seul talent, capacité, qualité, etc.
La promesse : « Play inside the box »
Beaucoup de guitaristes jouent leur gammes pentatoniques et blues sous forme de grilles. Reproduire une telle gamme de blues sur un harmonica diatonique requiert pas mal de technique, notamment la capacité de jouer les alterations (l’équivalent des bends à la guitare).
Rien de tout cela ici, le PentaHarp reproduit cette grille hexatonique sous une forme « aspirer-souffler » qui permet de transposer facilement un solo de guitare sur l’harmonica. D’ailleurs, une de ces grilles figure en guise de rappel sur le packaging du PentaHarp.
Ici, en Em :
1↑ 1↓ 2↑ 2↓ 3↑ 3↓ 4↑ 4↓ 5↑ 5↓ 6↑ 6↓ 7 ↑ 7↓
E G A Bb B D E G A Bb B D E G
Tout comme pour une gamme blues, on peut jouer cette gamme dans une tonalité majeure et dans la relative mineure. En théorie, tout sonnera juste (mais pas forcément de bon goût). Pour vous mettre le pied à l’étrier, le site consacré au Pentharp propose un outil pour transposer des riffs de guitare en tablature pour harmonica.
Comme pour un harmonica diatonique, il faudra choisir l’harmonica en fonction de la tonalité du morceau. Ce qui est une limitation inhérente à ces harmonicas (contrairement aux harmonicas chromatiques) mais présente certains avantages notamment de compacité et de coût.
Le look et la prise en main du PentaHarp
J’avoue ne pas être hyper-emballé par le look de cet harmonica. Si l’étui (fourni) et la prise en main me rappellent un Special 20 de chez Hohner qui traine quelque part dans la maison, la finition m’a semblé un poil en deça. La teinte du plastique bleu (sans doute pour rimer avec blues) ne me flatte pas particulièrement l’oeil, mais en regardant les nouvelles gammes « progressive » chez Hohner, visiblement c’est dans l’air du temps. Certaines notes semblent nécessiter un poil de rôdage, et si je savais comment faire, je lui ferais sans doute subir un petit réglage.
Direction Youtube pour quelques backing-tracks en Em et G. La prise en main est assez intuitive et on produit rapidement « quelque chose » sans connaissances techniques de l’instrument. J’ai filmé mes premières dizaines de minutes. Vous noterez évidemment très rapidement que je ne sais PAS vraiment jouer de l’harmonica.
Je pense qu’avec un peu de pratique, je pourrais réaliser des solos intéressants. Le fait d’être hexatonique (pentatonique + note de blues) aide à porter mon intention musicale à l’instrument en tant que guitariste.
Mais c’est amusant, même si je me sens peu crédible musicalement pour le coup. Parfait pour un peu de « noodling* » comme disent les anglophones.
* En bref, le noodling est un jeu de style libre, dans lequel vous explorez des notes apparemment aléatoires et vous vous fiez davantage aux essais, aux erreurs et à l’intuition qu’à des systèmes et des règles musicales rigides.
Les limitations
La première limitation, inhérente à la nature tonale de l’instrument, est qu’il faudra posséder chaque harmonica dans la tonalité du morceau que vous voulez jouer.
La seconde limitation est que, même pour un guitariste, il faudra maîtriser quelques techniques de base comme le fait de jouer une seule note à la fois. Sur un diatonique traditionnel, avec l’accordage Richter, le placement des notes permet de jouer des accords ce qui pardonne facilement certains ratés dans un contexte « folkeux ». Ici certaines notes contigues ne sonnent vraiment pas très bien en raison de leur proximité tonale surtout dans un contexte blues.
La blue note, est une note de passage, et il faut apprendre à la doser. Heureusement, Hohner propose son outil en ligne pour transcrire des solos de guitare en tablatures pour harmonica. Il existe également des tutos pour jouer une dizaine de riffs connus pour se mettre le pied à l’étrier.
La dernière limitation est liée au timbre. Un harmonica diatonique, avec les bends donnera une sorte de « grain » plus authentique à vos solos, là où le PentaHarp sera un peu plus sage, en partie à cause de son accordage, et en partie à cause des limitations techniques du musicien.
Alors verdict à moitié plein ou verdict à moitié vide ?
La question centrale reste : à qui s’adresse cet harmonica ? Un guitariste pourra difficilement jouer d’un harmonica chromatique en jouant de la guitare. Cet harmonica nécessite une main pour déclencher la « tirette », même si il me semble avoir vu des systèmes à pédales. Reste l’harmonica diatonique à placer dans un support autour du cou. Mais faut-il apprendre à jouer d’un autre instrument ?
Avec le PentaHarp, le guitariste pourra facilement jouer un petit solo dans un pont refrain/couplet. Je suis certain qu’avec un peu d’entraînement on peut arriver à de très belles choses.
Mais à mon avis, un musicien ambitieux ferait bien d’apprendre à maitriser un minimum l’instrument dans son accordage natif, avec le système Richter. A priori ça ne me semble pas insurmontable.
Un petit 6/10 sur l’échelle de piments pour le PentaHarp de Hohner. Un peu dur, mais il s’agit d’une moyenne personnelle. Sous-exploité, il risque un 4/10 et entre de bonnes mains, il vaudra 8/10.
Et juste pour le plaisir, voilà à quoi ressemble un vrai solo, joué par un vrai harmoniciste mêlant chromatique et diatonique :