Le marché de Noël, le boulot et la schizophrénie de la mule

Au mois d’octobre, au cours d’une discussion évoquant le marché de Noël organisé par la boite où je bosse, j’ai naïvement laissé échapper une question lourde de conséquences : Et vous avez prévu une animation musicale ? 

Me voilà donc sur un quai de gare au petit matin, chargé comme une mule, avec ampli, micros, guitare et ukulélé et tout ce qu’il faut de câbles pour relier le tout. J’ajoute l’ordinateur portable, nécessaire pour pouvoir travailler.

en route avec le SoloAmp

en route avec le SoloAmp

Que vont penser mes collègues ? Me voilà heurté de plein fouet par la « schizophrénie » du musicien-qui-a-un-boulot, ou plutôt une sorte de trouble dissociatif de l’identité entre l’employé à plein-temps et l’artiste dans le vent. J’essaie habituellement de maintenir un certain degré de séparation entre ces deux mondes, aux réalités diverses, tiraillé entre des facettes parfois antagonistes.

Durant mon heure de trajet, je suis hanté par le doute. Mais peu à peu, une autre vérité se fait jour en moi. Je suis moi-même pollué par une vision un peu dénigrante de l’artiste ! Pourquoi avoir honte ? Il y a des passions plus honteuses  … Après tout, rien n’est plus « orienté résultat » que la musique. Peu importent les moyens, le temps et les efforts consentis, c’est le résultat qui se juge. Maximiser le résultat d’un projet avec une économie de moyens et de ressources, ou « faire plus avec moins » est le quotidien du musicien. Résoudre les problèmes par une gestion autonome parfaite et une logistique précise est par ailleurs nécessaires pour mener le projet à terme avec succès. Des valeurs et des compétences finalement tout à fait appréciables dans le cadre professionnel, sans compter l’implication dans les activités entre collègues et la convivialité nécessaire au bien-être au travail.

IMG_2351J’ai fait plusieurs trajets en train, pour amener petit à petit tous les éléments pour me sonoriser. J’ai également transporté ma guitare au bureau pour quelques répétitions avec une collègue chanteuse qui me rejoint pour quelques morceaux. Par souci de discrétion, nous avons répété dans les caves, entre les armoires à archives et les palettes de publications. En deux répétitions seulement, nous avons bouclé un petit répertoire sympathique : du folk-irlandais, du blues, des chansons anglaises, une ballade en néerlandais, et quelques miniatures de classiques du swing. En duo, en solo, au ukulélé ou à la guitare.

Je me retrouve donc ce jeudi dans un espace paysager réservé aux réunions, avec deux bonnes heures devant moi pour brancher 2 micros, 2 guitares et un ukulélé sur une table de mixage que je ne connais pas, avec un ampli que je n’ai jamais utilisé autrement qu’en me branchant directement dessus. Heureusement que j’ai fait quelques recherches sur la toile pour comprendre comment paramétrer le gain via la fonction de PFL (pre-fader-listen). On amène tout sur « 0 » et puis ensuite les curseurs de la table deviennent de vrais indicateurs des niveaux relatifs de chaque piste. Reste à trouver le routage pour la reverb, et le dosage dans chaque tranche. Pour un novice, je m’en suis sorti pas trop mal il me semble. Ensuite il faudra faire la balance des niveaux de chaque instrument, quand soudain surgit une dame d’un des couloirs menant à l’espace où nous nous trouvons. Il y a des réunions en cours à l’étage. Pour une fois que j’avais le temps, voilà que le soundcheck est interrompu prématurément. Tant pis, on se lancera à l’eau avec ce qu’on a, quitte à faire des ajustements plus tard. On met à profit ce temps perdu pour vérifier le filage de notre set.

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Soundcheck …

Pour ne pas tirer les plus belles pièces de notre répertoire à blanc, avant que le plus gros du public n’arrive, nous décidons de commencer par un set de guitare solo d’une demi-heure, avant de faire notre duo, puis une pause et une seconde fois le répertoire en duo, en misant sur le fait que le public soit renouvelé pour le second tour.

Je suis plutôt satisfait du Loudbox SoloAmp qui est parfait dans ce rôle de sono pour un duo acoustique. Initialement nous étions supposés être en face du bar, ce qui aurait amené du monde, mais sans doute également un peu de bruit. Finalement le bar s’est installé ailleurs, et assez rapidement, nous nous rendons compte que nous n’avons pas le meilleur emplacement possible, nous sommes au bout de la salle, excentrés et les gens ne viennent pas jusqu’au fond. Malgré tout, je croise des regards amusés, j’aperçois des sourires, je cueille des œillades complices de la part de collègues. Ils sont surtout surpris et ravis par ma collègue chanteuse dont ils ignoraient le talent caché.

La salle est animée par un facétieux et distrayant Père Noël !IMG_2518

Fin du premier jour de marché de Noël, on pose les guitares, et il est temps de grignoter un bout (ça manque un peu de vrais plats, pour un animal comme moi, c’est dur de déjeuner avec quelques verrines et une tranche de cake). Ensuite reste à démonter la sono, pour retourner travailler. Pas évident de s’y remettre, je suis un peu fatigué et mentalement, je suis carrément ailleurs. Mais on remet le couvert demain.

Pour le second jour, nous plaçons la sono au centre, plus proche de la foule, et surtout face au public. Il y a un peu moins de monde pour ce deuxième jour, et je suis content de voir débarquer quelques connaissances du train qui viennent manger un bout, acheter des cadeaux et nous tendre une oreille bienveillante. Nous appliquons la même formule que la veille avec succès. Comme la veille, les commentaires sont élogieux. Une question qui revient régulièrement est de savoir si nous nous produisons régulièrement ensemble, tant notre duo semble routiné. Une remarque plutôt amusante compte tenu de nos deux seules petites répétitions. C’est bon signe.

Quelques bulles avec les organisateurs pour fêter le succès de cette édition, et il est temps de tourner la page … à l’année prochaine.

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En duo dans la capitale …

Content de sortir de ma Cité ardente et des limites de sa Principauté pour conquérir la Capitale. Je n’ai pas souvent l’occasion de jouer « sur » Bruxelles. C’est une aubaine … 

Ce sera au Midistation, l’occasion de manger (on y mange très bien) ou de boire un verre sur un fond musical fait-main par moi-même et l’excellent Olivier Poumay et son harmonica très inspiré ! (et expiré aussi).

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Si vous ne lisez qu’un article sur l’évolution du marché de la musique, que ce soit celui-là.

extraits musicaux

extraits musicaux

J’ai posté quelques extraits, pour vous donner envie de le lire jusqu’au bout …

C’est long comme un morceau de Pink Floyd, et pour les mêmes raisons : quand on a des choses à dire, on prend le temps de bien les dire !

Lisez http://www.mowno.com/articles/steve-albini-le-probleme-est-resolu/ sur MOWNO

© mixwiththemasters.com

Frontman et figure emblématique de Shellac, un des groupes les plus authentiques du circuit, mais également producteur d’une ribambelle d’albums (cultes pour certains), Steve Albini a forcément une opinion assez tranchée au sujet de la musique et de son business. Sans cesse bousculé par les nouvelles technologies et une succession d’analyses souvent interprétées comme des généralités, le marché du disque avait déjà été la cible du bonhomme quand, en 1993, il publiait l’essai ‘The Problem With Music’. Alors, Albini clamait haut et fort que l’industrie dominée par les majors était inefficace, exploitait les musiciens, et tirait la musique vers le bas. Vingt ans plus tard, il est toujours difficile de lui donner tort.

 

J’entends de la bouche de mes collègues que les temps sont durs, qu’internet a coupé les pattes de la musique et que, bientôt, plus personne n’en fera parce qu’il n’y aura plus d’argent. Dans pratiquement tous les endroits où elle est jouée, il existe une version différente de cette perspective inquiétante. Les gens qui avaient pris l’habitude de tirer de bons revenus des royalties les ont vus se tarir. Ceux qui ont passé leur vie à vendre des disques n’en sortent plus car ils ont toutes les difficultés à muter vers le téléchargement. En conséquence, on suppose implicitement que cet argent perdu doit être compensé. Beaucoup d’énergie a donc été dépensée à chercher comment, dans cette veulerie où chacun insiste sur le fait que quelqu’un doive (le) payer, sans qu’il ait à payer pour quelqu’un d’autre. J’aimerais que ce mécontentement cesse.

 

…quand j’ai commencé à jouer dans les années 70 et 80, la plupart des groupes disparaissaient sans avoir jamais enregistré une seule note de leur musique.

 

En optant pour le CD plutôt que le vinyle comme support dominant, les labels ont pu facilement vendre un objet pratique, compact, que l’on puisse écouter sans problème. Leurs marges bénéficiaires ont alors explosé et – le CD se vendant deux fois plus cher que le vinyle alors que ses coûts de fabrication, d’envoi et de stockage étaient bien moindre – l’argent coulait à flot.

 

En un claquement de doigt, la musique autrefois rare, chère, et uniquement disponible sur support physique, est devenue gratuite et disponible partout. Quelle évolution fantastique! Un avis que ne partagent pas beaucoup d’acteurs de l’industrie affirmant à quel point il est terrible de partager la musique, criant ni plus ni moins qu’au vol… Ce ne sont que des conneries, et nous allons voir pourquoi dans une minute. Parce qu’avant, je veux que vous abordiez l’expérience de la musique dans la perspective du fan de l’ère post internet. Pour lui, la musique difficile à trouver est arrivée à sa portée.

 

Il y a un autre changement, plus subtil, que tout cela a amené: puisque les gens ne sont plus obligés d’écouter tout ce qui passe à la radio et ne sont plus limités aux stocks des magasins, ils sont devenus plus ouverts. Un collègue du studio passe ainsi tout autant le nouveau 45t du groupe hardcore Leather, que l’electro drone de Tim Hecker, un morceau de soul de Cincinanati, du disco, des improvisations de guitare… Désormais, chacun peut à tout moment écouter seulement la musique qui l’intéresse, rejoindre des communautés en ligne très actives, dédiées à chaque style de musique et leurs dérivés.

 

La musique est entrée dans l’environnement au même titre que le vent ou n’importe quel élément atmosphérique.

Les sujets qui fatiguent, les sujets qui fâchent …

Je suis membre de quelques forums et de pages Facebook et je n’en peux plus de la quantité invraisemblable de messages complètement ineptes qui sont postés.

Des messages qui ne servent qu’à alimenter des débats stériles sans fin entre pro et antis, sans aucun espoir d’arriver à conclure quoi que ce soit.Megaphone

  • Quel est le meilleur guitariste/le meilleur groupe ?
  • Quel est le guitariste le plus rapide ?
  • Quel est le meilleur album de tous les temps/de ce groupe ?
  • Quelle est la meilleure disto/reverb ? (si possible sans faire référence à un style de musique)
  • effets en true bypass vs buffered ?
  • Quel est le meilleur ampli ? (si possible sans faire référence à son usage et un style de musique)
  • Fender vs Gibson ? Stratocaster vs Les-Paul ? Martin vs Taylor (pour la version acoustique) ?
  • Quel est le guitariste le plus sur- ou sous-estimé ?
  • Pourquoi si peu de femmes guitaristes ? (en soi c’est une bonne question, mais les réponses deviennent rapidement n’importe quoi, avec photos de pin-up peroxydéés et siliconées confondant guitare et saxophone et qui essaient d’accorder la guitare avec la langue dans des poses grotesques)
  • Que vaut une guitare à 20€ ? (ben, 20€ pour commencer, ni plus ni moins)
  • Vinyl vs mp3 / analogique vs digital ?
  • Comment apprendre la guitare an 15 jours ? (travailler pendant 15 jours, puis remettre ça autant de fois que nécessaire !). Parfois ce n’est même pas une question, mais une affirmation d’un mec qui fourgue une méthode révolutionnaire à la noix.

Par contre, dès que quelqu’un pose une question intéressante ou demande de l’aide, il n’y a plus personne, ou on remballe les petits nouveaux vers le moteur de recherche.

Décevant.

Bref, passez moins de temps à lire et commenter ces articles et plus de temps à jouer !