La musique est une passion et un hobby, comme la pêche ou le vélo. Pourquoi faudrait-il payer des gens pour s’amuser ?
Avant toutes choses, la musique est une discipline artistique. Si l’art en soi est impossible à définir, si ce n’est par sa reconnaissance en tant que tel au sein d’un groupe donné, en revanche, la notion d’artiste est un concept clair et net. Un artiste est un individu cultivant ou maîtrisant un art ou une technique source d’émotions, de sentiments, de réflexion. Une œuvre qu’il développe en s’adressant délibérément aux sens, aux émotions, aux intuitions et à l’intellect.
L’aspect délibéré retient ici toute mon attention, car c’est le pivot de la réponse à la question-lièvre levée par le titre.
La musique est-elle un hobby ou un métier ?
Si l’artiste décide délibérément de se faire rémunérer, c’est un métier. Cela résulte du choix de l’artiste, il n’y a pas de jugement, de débat ou de discussion à avoir. Que ce métier s’exerce à temps plein, à temps partiel ou comme activité complémentaire n’y change rien.
Comme me le faisait remarquer Charly (de Charly et sa drôle de dame), qu’un voisin cultive des tomates et les distribue dans le voisinage ne remet pas en question le fait que maraîcher soit un métier. Tout comme le fait qu’un ami fasse la vidange de sa voiture lui-même ne remet pas en cause le fait qu’être garagiste soit un métier. J’ajouterais que personne ne contestera qu’il existe des pêcheurs professionnels et des cyclistes professionnels.
Le corollaire difficile à digérer étant que personne ne vous doit logement et couvert au prétexte que vous êtes créatif. Comme on dit » tu voulais un vélo, maintenant pédale ». Ce sont vos choix, à vous des les rendre possibles. mais cela nécessite en contrepartie une reconnaissance de la valeur monétaire de la création qui est singulièrement absente de notre société.
Quant aux bénéfices engendrés par la culture, je vous renvoie à l’excellente vidéo réalisée par le journal le monde pour expliquer les retombées positives de la culture.
Ce n’est que du divertissement ? Le foot ne sert qu’à nous divertir également et peu de monde conteste les montants astronomiques des salaires des joueurs dont les retombées positives comme la notoriété, l’identification au groupe, la réputation et les bénéfices dérivés ne diffèrent pas en nature de celles de la culture.
Et si l’artiste, comme le joueur de foot, arrive à se faire rémunérer, c’est qu’un marché existe, et que des gens sont prêts à payer pour sa prestation. Si il n’est pas compétent dans son art, ou si ce qu’il offre ne semble pas une contrepartie décente à son paiement, le nombre de personnes prêtes à le payer fondra comme neige au soleil, c’est la loi du marché.
La valeur vient de la réussite, ou est-ce l’inverse ?
L’effet Veblen, ou effet de snobisme, a été mis en évidence par l’économiste et sociologue Thorstein Veblen. Dans le domaine des biens de luxe ou du moins ceux qui permettent une certaine distinction sociale, la baisse de prix de ces produits se traduit par une baisse de l’intérêt qu’ils représentent aux yeux de leurs acheteurs potentiels.
De manière inverse, la hausse du prix d’un produit peut le rendre davantage désirable et le faire entrer dans la catégorie des biens dont la possession traduit un rang social élevé.
La perte d’intérêt du public pour les activités artistiques pourrait donc résulter partiellement d’une perte de la valeur perçue. Alors qu’au contraire on tend à attribuer cette perte de valeur au désintérêt du public.
Existe-il des moyens de paiement alternatifs ?
A notre époque, l’argent se reproduit avec lui-même dans un tourbillon infernal et contre-nature. La culture notamment est vue comme une inutilité dispendieuse drainant des précieuses ressources financières qui pourraient servir à fabriquer plus de profit. Certains faux profits, sans doute les plus lucratifs, enflent en bulles qui éclatent, emportant quelques rares élus vers les cimes où l’argent devient autogame, tandis que les autres sont précipités à terre.
Dans la vision économique pure, le profit est de plus en plus souvent découplé du travail, qui ne vaut rien (pire, il est coûteux !). Il semble plus facile de lever des fonds pour d’hypothétiques projets en carton que d’être payé pour le travail concret qui n’est que prétexte à économies. La sueur des créateurs n’est que de l’eau vaguement salée qu’on ne peut plus vendre en bouteilles.
La visibilité comme paiement ? L’opportunité d’une promotion ?
Quels sont les métiers qui l’accepteraient en guise de paiement ?
– Docteur, me ferez vous une consultation gratuite si je dis que vous m’avez bien soigné ?
Dans le contexte actuel de l’offre et de la demande, vu le ratio signal-bruit, les algorithmes des pubards combinés au déficit d’attention des gens, la visibilité n’a plus de valeur.
C’est un piège pour un artiste.
Vous acceptez de jouer pour être vu, puis vous créez des choses destinées à être vues et remarquées. Vous créez pour répondre à une attente.
C’est aussi le motif d’une surenchère pas toujours qualitative. La pire reprise du monde à plus de visibilité Internet qu’un vrai talent. Une jolie paire de seins dans un débardeur noir sautillant sur l’éclisse d’une guitare sur une reprise-soupe à la louche cartonne au box-orifice de Youtube.
Autant se filmer en train de pisser dans une guitare en comptant sur les retombées publicitaires liées au nombre de vues plutôt que de composer un morceau. On sait combien coûtent 1000 vues sur Youtube, mais on ne sait pas dire combien elles rapportent aux auteurs. La réussite basée sur un nombre de likes ou de vues, c’est du vent. La notoriété des jeunes talents des télé-crochets rapporte des millions aux chaînes, mais leurs carrières post-coïtum ne se concrétisent que rarement. Parce que la célébrité c’est du vent.
Bien sur, certains se jouent de ce monde avec talent, et réussissent, parce qu’ils transforment leur succès en argent, et pas l’inverse.
L’argent a ceci de précieux qu’il a de la valeur dans notre société et que c’est la seule façon de transmettre un peu de cette valeur à la culture pour lui garantir l’intérêt du public.