Pour la seconde fois, un concert clôt l’année de la section lutherie de l’IFAPME de Limal (Wavre). Les instruments sont jugés sur les aspects techniques, et le savoir-faire des élèves est évalué par un jury. Mais l’étape ultime est de mettre ces jeunes guitares dans les mains de musiciens expérimentés. Un instrument ne prend vie que lorsqu’il est animé de notes. Même si cette étape n’est pas notée, sans ce baptême où on les baigne dans la musique, les guitares ne seraient que des meubles étranges.
Jeunes guitares deviendront grandes
Le futur idéal de ces élèves sera de concevoir des guitares que d’autres porteront sur scène et qu’ils signeront de leur nom. Hors du monde des collectionneurs il est peu probable que des guitares construites à la main, au budget conséquent (et justifié) ne trouvent acquéreur chez des amateurs. Les attentes en termes de qualité et de maniabilité sont élevées chez les pros. La prise en main du résultat de leur travail est également un indicateur de leur talent à réparer et régler un instrument, une activité qui constituera un pan important de leur future activité.
Le défi du musicien
Quatre musiciens ont relevé le défi de mettre de la musique sur ces jeunes guitares : Nicolas Gaul, Paolo Loveri, Guy Raiff et moi-même, survivant de la session précédente. Les jeunes guitares nous ont été présentées lors d’une visite la semaine précédant le concert. Il faut évaluer du regard, tester les instruments et choisir celle qui nous emmènera sur scène pour quelques morceaux. Ces jeunes guitares qui sentent encore le bois brut et le vernis sont un challenge. La guitare est un instrument exigeant, tant pour sa fabrication que son maniement, le choix se joue sur des détails.
Pour un musicien qui a pris ses habitudes de travail sur un instrument, changer d’outil ne se fait pas simplement. Il y a des choix que nous n’aurions pas faits (question de goût, de style ou d’habitude). Il y a des petites ou grandes erreurs de jeunesse, des réglages à discuter. Certains de ces réglages peuvent être adaptés, d’autres sont inscrits dans les choix de conception de l’instrument et ne pourront plus être modifiés ou prendraient trop de temps.
L’exercice est enrichissant pour moi, car il me confronte à mes choix en termes d’instruments. Je me suis reposé sur les choix d’un « certain » Jacques Stotzem pour définir l’instrument qui conviendrait à mon style de jeu. Sortir des sentiers battus me permet d’infirmer ou de confirmer mes convictions en matière de guitares.
Soundcheck
En arrivant sur place, le soundcheck est déjà bien avancé. Paolo Loveri est aux commandes, l’expérience parle et tout me semble prendre une tournure satisfaisante. Guy Raiff prend la suite avec une archtop acoustique, puis une amplifiée.
Pour ma part, je teste la hauteur des différents tabourets. C’est peut-être un détail pour vous, mais je joue de la guitare debout. Je redécouvre la guitare sur laquelle j’ai choisi de jouer. Elle s’est encore améliorée. Des cordes neuves, d’un tirant qui me plait, et des ajustements font que le miracle attendu s’est produit.
Manuel Wilmot finalise le programme de la soirée qui se compose de passages solos entrecoupés de duos. Il faut bien noter le va-et-vient des musiciens et des instruments pour que la soirée soit fluide. Dans l’espace réservé aux musiciens une assiette d’hors-d’oeuvres nous attend et le bar nous est ouvert.
Le concert
Le concert démarre sur une histoire de famille, Guy Raiff démarre sur une archtop bâtie… par son neveu. Il est rejoint par Paolo Loveri pour une session d’impro à quatre mains.
Je ne joue que dans le second set, ce qui me laisse le loisir d’écouter mes collègues. Leur aisance dans l’improvisation sur des standards de Jazz m’impressionne. J’en profite pour prendre des photos en prévision de mon traditionnel compte-rendu. Dommage que ma Lovely Roadie ne soit pas là, je devrai attendre qu’on m’envoie des photos de mon passage pour pouvoir publier mon billet.
J’hésite encore sur ce que je vais jouer. Je suis tiraillé entre l’envie de faire groover un morceau un peu plus technique et rapide, ou essayer de tirer un maximum de musicalité d’une de ces jeunes guitares avec une balade. Les deux exercices exigent de la précision, mais dans une ballade minimaliste l’erreur gâche durablement le moment d’apesanteur.
Ensuite Paolo joue en solo, avant d’être rejoint par Nicolas Gaul pour un dernier duo avant la pause.
Second set, mon passage sur scène
Nicolas reprend en solo au début du second set avec une belle archtop au son profond et chaud.
Je le rejoins pour jouer deux duos. Manuel Wilmots me présente comme « le Mac Gyver » de la guitare, je suis étonné, sans doute parce que j’aime les gadgets, mais aussi parce que l’année passée j’étais passé sans sourciller du ukulélé fabriqué par un élève à la guitare d’un autre dans le même set. C’est qu’il faut adapter son jeu rapidement à ces jeunes guitares, surtout si on en change en cours de concert.
Notre duo débute par un arrangement made in Jacques Stotzem de « Saint James Infarmery » sur lequel Nicolas pose une seconde guitare, suivi de « Come together ». Carré, efficace comme j’aime, malgré une unique répétition la veille. Dans la fièvre de l’instant, j’en oublie de reprendre une fois un thème, mais Nicolas en a vu d’autres.
Après deux rugueux blues en duo, la tentation de la ballade en solo l’emporte. Après tout, c’est ce que je préfère. Ces moments impressionnistes sont ma signature.
Nous terminons tous ensemble sur scène pour « All of Me ». Avec mon trop maigre répertoire de grilles standard, c’est un peu le seul choix possible pour moi. Malgré mon inexpérience dans cet exercice, je passe un bon moment.
Le public semble apprécier également et demande un rappel… qui se fera à trois. Ce n’est qu’une fois le concert terminé que je me dis que nous aurions pu jouer « Sweet Georgia Brown ». Trop tard.
L’après-concert.
Visiblement ma ballade a marqué l’une ou l’autre personne dans le public, ça fait plaisir. L’égo est un moteur nécessaire qu’il convient de nourrir, et de garder sous contrôle. Mais je garde toujours à l’esprit que ceux qui n’ont pas aimé ne viendront pas me le dire.
Je profite de la suite de la soirée pour voir ce que deviennent certains élèves de l’an passé. Une petite exposition leur est consacrée en face du bar. Patiemment ils tracent leur route en direction du but ultime : avoir leur propre atelier de lutherie.
Je savoure deux bières, puis il est temps de reprendre la route vers la maison. Sur le trajet je me dis que les collaborations sont toujours positives et m’aident à grandir. Je suis persuadé qu’il y a des registres musicaux qu’il me faudrait aborder pour évoluer et élargir mes horizons.
Il ne me reste plus qu’à attendre les éventuelles photos de ma prestation qui feraient surface pour les ajouter à mes albums souvenirs de concert.
Comme toujours en musique, le meilleur est toujours entre le présent et les moments à venir. Je m’en vais bosser sur les éventuelles collaborations futures, et doper mon répertoire de duos potentiels et mon vocabulaire de duettiste.