Qu’est ce qu’une bonne tablature ?

Pour faire suite à l’article sur la prédominance des tablatures sur le web par rapport aux partitions, je voulais vous proposer un petit article sur les éléments constituants d’une bonne tablature. 

Si le web est une bonne source pour des tablatures dans tous les genres possibles la qualité n’est pas toujours au rendez-vous. Une bonne tablature devrait permettre de s’affranchir entièrement de la partition. Elle ne doit jamais être vue comme une béquille pour pallier les défauts de la partition en termes de doigtés. C’est une très vilaine manie des éditeurs pour gagner de la place de faire des tablatures castrées, sans rythme ou indications techniques, cela oblige à sauter du regard entre la notation et la tablature.

Pour une technique de jeu spécialisée comme le fingerpicking, la tablature est, en toute subjectivité partisane, le meilleur système de notation possible. Ceci n’exclut pas la notation qui convient à d’autres styles, idéalement on devrait pouvoir lire les deux.

Un petit point de vocabulaire: les paroles d’une chanson surmontées d’accords chiffrés en lettres ne sont pas une tablature. La tablature est spécifiquement une notation utilisant des parties schématisées de l’instrument.

Ceci n’est pas une tablature …

F             G            C
There is Love that came for us

Ceci est forme la plus minimale pour une tablature de guitare, la grille d’accord représentant un bout de manche de guitare. (les schémas de gammes entrent également dans cette catégorie).

CM

Ceci est une tablature:

Les tablatures ...

Les tablatures ..

Comment lire une tablature ?

Il existe assez de tablatures pour la plupart des morceaux connus pour se permettre d’être difficile. Si votre tablature est trop sommaire, continuez à chercher, certains auteurs produisent de meilleures transcriptions que d’autre. Souvent la qualité de la mise en page va de pair avec un meilleur déchiffrage des morceaux.

Une bonne tablature devrait comporter les mentions suivantes:

  • accordage de la guitare et position d’un capo (quand il n’est pas mentionné, on suppose que c’est l’accordage standard)
  • le rythme
  • le tempo
  • les accords utilisés, souvent notés en notation anglo-saxonne donc en lettres (qui servent tant à la compréhension de la mécanique du jeu de la main gauche, qu’à la compréhension de l’harmonie du morceau)
  • la structure exacte du morceau

La tablature représente un manche de guitare, avec ses six cordes.

Les cordes du bas du dessin sont les basses, celle du haut, les cordes aiguës. (Contrairement à la position réelle de la guitare où les cordes du haut s’appellent les basses !).

Les numéros indiquent à quelle case les notes jouées doivent être frettées (où mettre ses doigts de la main gauche). Le 0 représente une corde à vide. Dans le fingerstyle, contrairement au classique, on est souvent confronté à des mélodies construites autour d’accords que l’on placera en entier sur le manche, même si on n’en joue pas toutes les notes. Cela clarifie grandement le jeu de la main gauche, du moins au début.

Les noms des accords mentionnés en haut de la tablature vous donneront des précieuses indications sur votre main gauche, y compris pour des notes qui ne sont pas jouées de la main droite.

Le rythme indiqué sous les chiffres indique quand jouer de la main gauche.

Quelques indications supplémentaires complètent les indications pour des techniques de jeu particulières, par exemple :

  • p (po ou p-o) = pull-off : relâcher la note vers la corde à vide ou une note plus basse après l’avoir jouée
  • h (ho ou h-o)  = hammer on : appuyer sur la corde (d’une note plus haute) après avoir joué une note
  • / = sl = slide up (slide montant): Glisser avec le doigt d’une case à une autre plus aigu en maintenant la corde frettée
  • \ = sl = slide down (slide descendant): Glisser avec le doigt d’une case à une autre plus grave en maintenant la corde frettée.
  • b = bend : le Bend consiste à tendre la corde après avoir joué pour changer la note en restant dans la même case
  • ~  ( ou parfois /\ ou ^) = vibrato : Faire varier le ton de la note en vibrant le doigt posé dessus
  • PM  = palm mute: appuyer légèrement avec le poignet ou la paume sur les cordes près du chevalet
  • X = mute = dead notes: Note bloquée en pour étouffer le son

On se familiarise assez rapidement avec ces notations.

Voyons un exemple concret:

Tablature

La mention TAB confirme qu’Il s’agit bien d’une tablature. Titre du morceau et de l’arrangeur sont mentionnés, ce qui permet éventuellement d’en retrouver un enregistrement si nécessaire. L’accordage, le tempo, la signature rythmique (4/4 temps) sont bien mentionnés. Dans un accordage en « dropped D », la corde la plus basse (6) doit être accordée en D (Ré). Le morceau se joue à un battement de 120 à la noire.

Les cordes du bas du dessin sont les basses, celle du haut, les cordes aiguës. (Contrairement à la position réelle de la guitare où les cordes du haut s’appellent les basses !). Dans un accordage en « dropped D », la corde la plus basse (6) doit être accordée en D (Ré). Le morceau se joue à un battement de 120 à la noire.

Par exemple, le premier accord est un D7 (Ré7). Si nous utilisons le doigté habituel d’un accord de D7, nous pouvons déduire assez facilement que c’est l’auriculaire qui sera chargé de jouer la note de Ré sur la 3ème case.

D7Certaines déductions dans le jeu technique découlent du style du morceau. Par exemple, dans un morceau de picking de type ragtime, on retrouve la basse alternée caractéristique. Ces notes seront jouées avec le pouce.

basse

Difficile de tout résumer en un billet, ce serait d’ailleurs inutile. Ce serait trop confus pour un débutant (j’ai conscience que ça l’est déjà).

Le meilleur moyen pour apprendre à lire des tablatures consiste à choisir un morceau simple dont on connait la mélodie pour se familiariser avec la manière dont le morceau a été retranscrit.

Pourquoi si peu de partitions dans un univers de tablatures ?

Les tablatures ...

Les tablatures …

J’aime quand l’idée d’un billet m’arrive sous forme d’une question. X. B. me demande « Pourquoi trouve t-on plus de tablatures que de partitions sur le net ? »

Il y a d’après moi plusieurs raisons à cela :

La tablature est propre à l’instrument, ce qui simplifie le déchiffrage

La tablature est une notation qui tient compte des spécificités de l’instrument en illustrant les doigtés et les rythmes sur une représentation schématique d’une partie de l’instrument.

Par exemple, comparons la partition (en haut) et la tablature (en bas) pour un morceau de flûte à bec.

au-clair-de-la-lune-sur-solEn un instant, il est possible de trouver comment produire les notes nécessaires à l’exécution de la mélodie. Si cette mélodie est connue ou si un support audio existe, en quelques minutes on peut parvenir à un résultat acceptable pour cet exemple simple.

La tablature est la notation musicale utilisée pour des instruments populaires comme la guitare (on représente le manche et les six cordes, des nombres représentant les cases frettées), l’accordéon diatonique, et parfois le piano (représentation du clavier physique). Pour le luth c’est d’ailleurs la forme de notation la plus répandue. C’est la notation de prédilection pour les instruments à manches frettés,  car elle lève l’ambiguïté sur les doigtés à utiliser pour des notes pouvant être jouées à plusieurs endroits.

Cet avantage est aussi un inconvénient. La codification spécifique à un instrument rend le passage sur un autre instrument plus difficile et est un frein à l’universalité de la musique et à la communication entre instrumentistes jouant d’instruments différents.

La tablature raccourcit l’apprentissage de la pratique de l’instrument

Elle constitue un langage concret et pratique et passe outre l’apprentissage d’un langage abstrait et codifié qui constitue le corps essentiel et incontournable d’un apprentissage académique. Il est à noter que l’attrait pour la formalisation du langage musical dans le cursus musical académique vient en partie de la volonté de rationaliser l’évaluation des élèves. A une certaine époque, le talent (réputé d’essence divine) et impossible à définir devait faire place à des notions rationnelles, mesurables voire scientifiques. Le travail et le respect des conventions sont faciles à chiffrer, évaluer et à sanctionner d’une note. Ce qui libère l’élève du jugement porté sur son manque de talent éventuel et libère l’enseignant de devoir se justifier d’un jugement forcément subjectif.

Le solfège est parfaitement dispensable de la pratique d’un instrument (et peut même être vu comme une perte de temps), mais est relativement nécessaire à la pratique de la musique.

Cette vision est évidemment un peu caricaturale en ce sens qu’une « bonne tablature » finit par s’encombrer de conventions d’écriture (ironiquement empruntées au solfège) pour représenter le rythme et l’interprétation. La tablature devient ainsi un langage tout aussi cryptique aux yeux du néophyte que le solfège pourrait l’être.

A l’inverse, dans le but de lever des ambiguïtés de doigtés et d’interprétation, certaines partitions s’encombrent également de conventions propres à l’instrument.

La tablature a profité d’une faille juridique et d’une absence de jurisprudence

Les droits de reproduction pour la musique imprimée sont strictement protégés, sans exception notable. Néanmoins une interprétation d’une oeuvre est permise à titre personnel. La tablature, en raison de ses imperfections de notation et de sa mise en page perfectible passe aisément pour un travail de déchiffrage personnel qui ne serait pas basé sur un écrit consulté et copié, soit une interprétation réalisée par son auteur à des fins didactiques.

Si ce travail personnel de déchiffrage est permis, mais dès lors qu’il y a publication ou diffusion, et surtout si la notation permet de reproduire parfaitement l’oeuvre, le droit d’auteur prévaut et beaucoup de sites de tablatures en ont fait les frais et ont dû fermer ou retirer certaines œuvres de leur catalogue sous peine d’astreinte et de fermeture

Et surtout, les tablatures sont plus faciles à produire et à partager !

Créer une partition est une tâche ardue, nécessitant des logiciels spécifiques plutôt coûteux. L’utilisation de ces logiciels fige le format de sortie et rend son partage et l’adaptation de la partition plutôt compliquée. L’édition musicale est un monde de pinailleur et d’esthètes, qui en sont encore à discuter de comment informatiser efficacement la chose. Voici d’où ils viennent :

C’est très beau, voire fascinant … mais c’est un peu lent et impayable, et ce n’est pas ce que l’ado qui veut les accords de l’intro « Chasing Cars » de Snow Patrol recherche.

Une tablature par contre peut se créer et se diffuser dans un banal traitement de texte, voire dans un bloc-note en ASCII, et se griffonner sur un coin de nappe. La génération Internet a grandi avec des sites de tablatures comme O.L.G.A. (online guitar archive) regroupant les pires transcriptions de ce que la musique a connu de meilleur. En effet, la qualité n’est pas toujours au rendez-vous. Mais il suffit d’en essayer deux ou trois et on finit toujours par trouver un musicien qui a mis plus de soin dans sa transcription.

En raison de tout ceci, la proportion de musiciens capables de lire des tablatures dépasse largement le nombre de ceux qui lisent le solfège couramment. Et la demande détermine l’offre dans ce domaine également.

Le temps perdu (Wasted Time).

C’est souvent le temps perdu le mieux employé, car il permet de féconder son esprit, de créer.

Vidéo: Sorrow (David van Lochem) – live aux Deux Ours