Petite reprise au ukulélé, à l’occasion de la fête des pères, au soleil, et sans grande prétention …
Comment reconnaître un instrument de merde ?
Je viens d’acheter un nouveau ukulélé, il est mignon mais c’est de la merde. Bon, d’autre part, je ne me plains pas, je l’ai bien cherché et j’en ai eu pour mon argent, ni plus ni moins. Mais je me dis que c’est l’occasion de vous montrer où regarder pour identifier les instruments médiocres.
J’avais besoin d’un ukulélé pour un projet plutôt anecdotique, plus visuel que sonore. J’ai dés le départ l’intention de le confier aux « bons » soins de mes enfants ensuite. J’ai caressé l’idée d’acheter un beau ukulélé soprano en vrai bois, avec amplification, vous savez, au cas où. Mais je suis revenu à la raison, pas besoin d’un gros investissement.
Sympa, non ?
Le corps est en érable, manche en nato, frettes en laiton, mécaniques de type guitare. avec un étui fourni. Il s’accorde et offre un son correct, sans plus. La housse fournie, un fin sac en nylon, sans renfort ou mousse d’aucune sorte, pourra tout au plus le protéger de la poussière, et encore, je pense que je vais garder la boîte en carton dans laquelle il est livré qui me semble plus qualitative.
Le premier critère pour juger de la qualité d’un instrument est son prix. Je ne veux pas dire par là qu’un instrument coûteux sera forcément bon, mais qu’un instrument trop bon marché le sera plus rarement. Quand vous payez une chose le même prix que vous auriez payé les cordes, 4 planchettes de bois et le tube de colle qui aura servi à les assembler, il y a lieu de s’interroger.
Passé un certain prix, sauf arnaque, vous ne devriez plus rencontrer le genre de défauts que je montre ici. En temps normal, je compterais un peu moins d’une centaine d’euros pour un ukulélé décent et aux alentours de 250 euros pour une guitare correcte. En deçà, une inspection minutieuse et un bon test s’imposent, en s’interrogeant sur le budget et les concessions à la qualité qu’on est prêt à faire. Tout est question de l’importance qu’on accordera à l’usage de l’instrument et si on envisage de faire un upgrade plus tard.
Outre le son, qui est assez évident à tester, un petit contrôle visuel permet de vérifier le degré de finition d’un instrument. Il y a quelques zones critiques à inspecter qui sont heureusement très accessibles.
La jonction entre le manche et la caisse est une zone qui permet de percevoir l’épaisseur du vernis. Ici on voit clairement que l’angle est irrégulièrement bouché par un vernis plutôt épais. Dans l’ensemble à l’exception du manche, on ne perçoit plus la présence du bois nulle part, englué dans une épaisse couche de vernis au toucher plastique. Un tel vernis ferme le bois et prive l’instrument d’une partie de sa résonance en l’alourdissant. Un vernis aussi épais permet aussi de cacher du bois de moindre qualité.
Sur cette vue on aperçoit également les bords des frettes avec un travail très approximatif, certaines affleurant le bord de la touche, d’autres tombant trop court.
Le talon du manche est légèrement asymétrique et présente un petit défaut de vernissage.
D’autres endroits, comme la partie de la touche passant sur la table montrent le travail de peinture approximatif …
Au niveau du contact entre le sillet de tête et la touche des traces de colle et d’outils subsistent … notez que dans les premières positions, le travail des frettes est plutôt correct.
Au niveau du chevalet, qui est vissé, on aperçoit des petites traces d’outils et de colle également. De manière étonnante, le sillet est compensé et l’instrument plutôt juste jusque dans les positions moyennes.
Néanmoins, il est parfait pour l’usage que je compte en faire … avec un capital sympathie énorme … et il est malgré tout plutôt plaisant à jouer. C’est la magie du ukulélé qui arrive à séduire malgré tous ses défauts.
Ça pourrait clairement être pire … ça pourrait être nettement mieux aussi, … mais pas à ce prix.
La passion de la lutherie devient un métier sous mes yeux.
Ce lundi matin, j’avais rendez-vous à l’Ifapme de Limal. Cette année va voir se terminer sa première promotion de la section lutherie, Au programme, visite de l’atelier, test de guitares et d’un ukulélé pour le concert de fin d’année où je ferais une démonstration sur un instrument d’élèves, et échanges de points de vue entre les artisans et le musicien.
La première chose qui me frappe en entrant dans l’atelier, outre l’attendue l’odeur de bois, c’est le calme industrieux qui y règne. Concentration, application et méticulosité font plaisir à voir chez ces jeunes d’âges et d’horizons divers.
La visite commence par une visite de l’atelier et la rencontre avec Mathieu Boulet, le formateur (je le laisse se présenter dans une vidéo que j’ai trouvée sur le site de l’Ifapme).
Les élèves de première année sont concentrés sur leur exercice d’examen: apprêter et mettre à épaisseur une fine planchette de bois, avant d’y insérer un fin filet de rosace. Sur les tables, entre les copeaux, des petits ukulélé, résultat du travail de fin d’année n’attendent plus que l’examen et le verdict du formateur.
Le cursus en alternance pour la lutherie part d’une première année axée sur le travail manuel du bois et la réalisation d’un ukulélé qui, en miniature, concrétise et rassemble les éléments déterminants d’un instrument à cordes.
La seconde année approche l’utilisation des machines pour la fabrication des divers éléments de l’instrument. L’Ifapme est lié avec le Music Funds qui rassemble des instruments que les élèves réparent et reconditionnent avant de les envoyer dans des endroits du monde dont la situation géopolitique ou économique constitue une menace à la musique et à la pratique musicale. Un des élèves se disait particulièrement fier d’avoir réparé un ukulélé parti depuis résonner dans la bande de Gaza.
La troisième année se concentre sur le projet personnel de chaque élève qui développe un projet autour d’un instrument qu’il construit ensuite entièrement. Tout au long du parcours, ils suivent des cours de musicologie, d’histoire de l’art, et les indispensables cours de droit, de gestion et de comptabilité. Les stages chez des luthiers et dans des magasins permettent de se frotter à la réalité du marché.
Au terme de cette formation, les élèves sont luthier diplômés. La formation remporte un vif succès, certains élèves venant de France pour s’inscrire, du coup les places sont comptées, d’autant que l’objectif n’est pas d’inonder le marché d’une trentaine de nouveaux luthiers par an.
Pendant mon trajet en voiture, je réfléchissais à ma relation avec la lutherie, avec la genèse des instruments. Je suis fasciné par le soin passionné, l’amour et la précision que mettent les artisans dans la fabrication de l’instrument. D’autre part, ayant besoin de l’instrument comme d’un moyen de monter sur scène et jouer ma musique, je vois la guitare comme mon outil pour pratiquer mon art, parfois je serais amené à faire des choix qui ne seraient pas forcément le choix de l’artisan.
Pour citer quelques exemples classiques, les luthiers n’aiment pas les cutaways, la plupart ne sont pas fans des systèmes d’amplification intégrés dans les guitares. Les motivations sont acoustiques et structurelles et il faut arriver à « compromettre » la fabrication du meilleur instrument possible avec les aspects pratiques, car le bel instrument dont on joue par passion chez soi à la maison a des qualités différentes de celui qu’on trimbale de cachet en cachet comme je le fais, qui est différent de l’instrument vivant de récitals dans des salons feutrés. Je suis conscient qu’un vernis gommé est un travail magnifique, mais savoir qu’une goutte de bière suffirait à le ruiner me fait froid dans le dos.
C’est tout le drame de la guitare folk depuis le début de son existence. Une sorte de lutte incessante entre la nécessité d’un son puissant capable de se projeter entraînant une rigidité capable d’encaisser la tension des cordes métalliques qu’il faut contrebalancer d’une grande finesse, d’une facilité de jeu et d’un équilibre sonore, le tout embarqué dans un instrument qui roule sa bosse pour amasser sa mousse.
Nous nous dirigeons vers l’atelier de carrosserie automobile, où les instruments des élèves de troisième et dernière année sont exposés pour être testés. Il y a une belle diversité : quelques guitares, essentiellement des petites caisses, une 12-cordes, un joli modèle archtop électrifié, un guitalélé, un ukulélé.
Il va falloir faire un choix.
Je cherche l’instrument que ma technique de jeu particulière mettra le mieux en valeur. Evidemment, peut-être que pour celui dont l’instrument ne sera pas choisi ou critiqué (ou choisi ET critiqué), ce sera sans doute moins plaisant, mais je ferai le choix qui me convient sur base de critères qui me sont propres. Il ne s’agit pas d’un jugement sur les choix de construction posés par chacun. D’autres auraient fait d’autres choix que moi pour d’aussi bonnes ou mauvaises raisons. Et puis comme je n’y connais rien en lutherie, mon choix n’engage que moi.
L’archtop et la 12-cordes m’intéressent par leur côté exotique (à mes yeux), mais ne collent pas à ma pratique … le guitalélé c’est sympa, mais je trouve cet instrument un peu trop entre deux eaux, et en général je lui préfère soit une guitare, soit un vrai ukulélé. Je suis un homme de parti pris. Il n’y a pas de modèle de ukulélé de taille tenor ou concert, ce ne sera pas possible de faire de l’instrumental, alors on poussera la chansonnette.
Je suis très attentif au touché des manches, le vernis et la finition des frettes revêtent une importance cruciale pour moi. Je teste une joli guitare avec un chouette son, mais avec des frettes légèrement inconfortables. Avec un jeu classique très délié les aspérités des frettes sont peut être moins perceptibles, mais quand je joue les basses au pouce par dessus le manche avec des accords à ras des frettes, avec mes doigts charnus je les perçois nettement. Je prends conscience, sur l’un ou l’autre modèle, d’un vernis un peu collant par nature ou rugueux au toucher. Ce sont des guitares très neuves, parfois peu jouées et certains de ces aspects résultent d’un manque de patine. Ma Martin OM21c présentant le même inconvénient au déballage.
Un des élèves me fait remarquer que de manière amusante, la partie de la guitare sur laquelle ils passent le plus de temps de travail est la caisse de résonance de l’instrument, tandis que de mon côté je me focalise sur les endroits où je pose mes mains. Il est vrai que la plupart des instruments présentés sont des modèles à petite caisse qui me sont familiers et constituent mon orientation naturelle en terme de son et de maniabilité. Une jumbo ou une dreadnought aurait sans doute retenu plus d’attention côté caisse de ma part.
C’est un des soucis de la lutherie … souvent le premier degré de finition se jauge à l’œil, le second degré se mesure à l’oreille mais la qualité ultime se perçoit au toucher, à la manipulation à l’équilibre de la construction. Pour moi l’instrument doit pouvoir se faire oublier pour que toute la conscience du musicien soit sur l’interprétation.
En toute subjectivité, dans mon style de picking plutôt dynamique, joué aux onglets, je cherche également une sorte de « growl » dans le bas-médium et des basses présentes pas trop mattes avec des aigus bien balancés qui permettent de faire ressortir la mélodie. Il me faut également une guitare avec une grosse réponse que je n’ai pas l’impression de brutaliser quand je la fais sonner.
Au final, j’ai peut-être choisi une pantoufle, une guitare qui n’est pas celle qui brille le plus par l’une de ses qualités intrinsèques, avec un vernis perfectible, mais celle qui propose le meilleur compromis entre le confort de jeu et le son que je recherche. Qui me donne ce que je cherche sans que je doive me battre avec elle. Car je ne la jouerai qu’une fois, lors du concert, devant un micro. Nous discutons encore de l’un ou l’autre réglage, des tirants, de l’accordage et des types de cordes pour chaque instrument.
Passionnante visite en tout cas, des rencontres intéressantes, tant avec les formateurs qu’avec les élèves et leurs instruments et je me réjouis de la merveilleuse initiative de re-populariser le métier de la lutherie en Belgique.
On se retrouve le 27 juin à Limal pour le concert de clôture de cette première promotion de luthiers autour de quelques morceaux de guitare et un peu de ukulélé.